Il est un personnage particulier dans le Fantôme amoureux qui possède, comme les autres personnages de la pièce, deux visages : le ciel, tantôt solaire, tantôt lunaire. Tour à tour et dans chaque acte, l’action se déroule sous le regard et avec la caution d’une autorité céleste. Le soleil, père du jour, préside aux actions justes et aux éclaircissements. Lorsqu’il se lève, se retirent avec lui le voile brumeux de la nuit, les troubles et les incertitudes. Père du jour, il est aussi père de la lumière sur les choses et les êtres, père de la vérité, et celui qui donne la vie. C’est au grand jour que Climène lève le quiproquo sur sa trahison de l’acte I. Elle explique enfin et éclaircit les malentendus à la lumière du jour. De même, c’est lorsque le jour perce au milieu de la nuit, à la lueur d’une torche, au début l’acte V, que Carlos reconnaît son erreur et voit Isabelle. Enfin, c’est lorsque le jour pointe à l’horizon, à la fin de l’acte V, que Fabrice lève enfin le voile sur son identité usurpée, et se révèle être vivant. Ainsi, au dénouement, la figure du père et celle du jour sont fortement présentes : lorsque les secrets sont révélés et la justice rétablie, toutes les figures paternelles président et donnent leur bénédiction. Le duc d’abord reconnaît ses erreurs, Alphonce accepte enfin le mariage de son fils, le soleil enfin, père du jour, préside à ce rétablissement de la justice et à au retour de Fabrice dans la vie. Car pour Fabrice, il s’agit bien de renaître à la vie, de quitter son déguisement de mort, et de revoir enfin le jour. Le jour est en effet plus que la lumière opposée aux ténèbres, il est avant tout la vie opposée à la mort. Depuis le premier coucher de soleil du premier jour, Fabrice est en danger de mort. Avec la tombée de la nuit, il voit le jour s’enfuir et ses propres jours être l’objet d’un péril certain. Durant le deuxième acte, il ne peut voir le jour, et reste présent comme un absent, comme un fantôme, dissimulé dans les recoins des habitations. À l’acte III il revoit le jour mais comme fantôme, c’est-à-dire sous son déguisement, il n’appartient donc plus au règne des vivants mais bien à celui des morts, puisque son court séjour au jardin lui est funeste et triste, alors qu’à la tombée de la nuit il retrouve son amour et sa vitalité avec l’apparition de la lune et de sa bien-aimée.
À l’inverse donc, la nuit est propice aux dissimulations et aux quiproquos en tous genres. Elle est le manteau qui cache et qui protège, la main douce et complice des plus grandes audaces, coups d’épées ou baisers. C’est d’abord le lieu et le temps d’un crime, celui de l’assassinat de Fabrice. Mais plus profondément, c’est celui des erreurs et des injustices, des larcins et des quiproquos. Car il s’agit là avant tout d’une erreur, et non d’un meurtre. Non seulement on se trompe de victime, mais encore on n’identifie pas le cadavre après le crime. La nuit est ainsi le lieu du trouble, lieu où les passions se déchaînent, et où les cœurs parlent plus librement. Fabrice est tué dans un coup de folie du duc à l’acte I, Isabelle fait dire à Carlos qu’elle l’aime à la tombée de la première nuit, Climène retrouve Fabrice et ils planifient leur fuite amoureuse au début de l’acte IV, à la tombée de la deuxième nuit. C’est donc couverts du manteau de la nuit, et sous la protection de la lune, que se jouent ces larcins. C’est lorsque la lune s’avance, que Fabrice retrouve la vie et son amour perdu. Car Fabrice n’est plus qu’un mort-vivant, il appartient désormais au monde des ténèbres, et ne trouve sa protection et sa bien aimée que lorsque l’ombre est jetée. Lorsque s’ouvre l’acte IV, il faut d’abord qu’apparaisse la lune, astre céleste et féminin, avant que l’amante ne puisse être retrouvée. Il faut donc d’abord cette caution nocturne.
Ainsi, seul l’acte III se déroule en plein jour. Mais est-ce vraiment un plein jour ? De cela même on peut encore douter. Car si l’action est censée se passer le jour, elle se déroule toutefois dans un jardin hérissé d’allées, de ramures et d’ombres. De fait, même si cet acte appartient au règne du jour, il semblerait malgré tout qu’il penche plus du côté des ténèbres que de la pleine lumière. Car les personnages vont au jardin pour s’y dissimuler, non pour aller se promener à découvert : ils choisissent avec soin les allées ombragées. Le duc se cache de Climène dans une allée, dissimulé derrière des branchages. Fabrice sort de la mine, fait apparaître les ténèbres en plein jour, puis se dissimule à nouveau dans sa cachette. Le sol s’entrouvre, les ténèbres font surface et sèment le trouble. Climène s’évanouit, si bien que lorsque le mort-vivant sort des entrailles de la terre, c’est comme si la mort s’étendait autour de lui. Climène, avant son apparition, était déjà plongée dans une tristesse funeste ; après son arrivée, elle gît à terre comme frappée par la mort.
Il existe toutefois un point de rencontre, de réconciliation entre le jour et la nuit, un mince moment de coïncidence : l’aube, instant où la nuit laisse place au jour, et où, lorsque le soleil pointe à l’horizon, la lune se laisse encore apercevoir au loin. C’est dans cette douceur lumineuse que se dénoue l’action, lorsque les deux astres célestes président ensemble à l’action, lorsque la nuit des erreurs et des unions secrètes côtoie le jour de la justice, des erreurs avouées et de la paix retrouvée. Ainsi, au petit jour et aux derniers rayons de lune, la passion funeste du duc s’efface, l’union secrète de Carlos et Isabelle se révèle et se scelle, les deux visages de Fabrice s’unissent, et son union avec Climène peut enfin se réaliser, sous la caution des deux astres à la fois.