Léona, héroïne du surréalisme


Qui est Léona ? Qui est ce singulier visage? Qui sont ces yeux rêveurs, sombres et perçants, qui nous regardent vaguement depuis la couverture du livre d’Hester Albach ? Nous la connaissons sans rien savoir de ce qu’elle fut vraiment. Nadja, le personnage d’André Breton, s’appelait Léona Delcourt.

De Léona Delcourt, il y a tout à découvrir. A commencer par sa dimension proprement réelle. Jeune fille venant d’une famille très modeste, maltraitée par son père, ayant perdu une sœur très jeune, elle eut un enfant très tôt, et dut le laisser à ses parents, contrainte de tout quitter pour aller tenter sa chance à Paris.

Breton nous conte les tribulations de Nadja. Certes, Léona partageait avec Nadja une sensibilité synesthésique d’une créativité surréaliste et onirique fascinante. Certes, elle fut un vrai puits d’inspiration pour Breton.

Cependant, cette jeune fille était partie dans le seul but de revenir. Elle devait subvenir aux besoins de sa fille, réussir dans le théâtre comme costumière, et faire vivre sa famille. Elle échoua. Elle avait besoin de soutien, et elle rencontra André Breton, qui l’introduit à l’art surréaliste, à l’amour de la liberté. Entre deux promenades avec celui qu’elle nomme son « soleil », ce sont des errances sans fin dans Paris, la fréquentation de milieux douteux où circule la cocaïne, un manque d’argent constant.

On ne devine pas, à lire Breton, le désespoir sous le comportement détaché de Nadja. On ne devine pas que lorsqu’elle rencontre Breton, son destin se scelle irrémédiablement, qui lui fera franchir toutes les frontières, celle de l’assujettissement des femmes, celle des banlieues les plus sombres de Paris, celle des hôpitaux psychiatriques enfin. C’est là qu’elle finira sa vie, délaissée, abandonnée, privée des siens, privée de son amour, privée de sa tête.


Une femme écrit l’histoire d’une femme.

Hester Albach enquête sur son existence, en apporte les preuves, et nous révèle les secrets de cette femme médium et fragile, en défaisant les nœuds énigmatiques du livre surréaliste.

Il fallait que ce fût une femme, et d’un autre pays encore, pour que l’on se penchât enfin sur le destin obscur et tragique de ce personnage étrangement familier aux Français. Nadja ne fut pas qu’une héroïne de fiction. C’est une véritable enquête, une recherche longue et méticuleuse, à laquelle se livre Hester Albach, soignée, précise, documentée, acharnée parfois, afin de découvrir lentement et par fines touches, derrière le masque Nadia, le visage de Léona.

Breton a fait de son récit une véritable forteresse de symboles et significations énigmatiques, comme autant de portes battantes, offertes à qui veut les ouvrir. Hester Albach les ouvre toutes, une à une, puis les lie de l’intérieur, dessine le chemin de leurs significations ouvertes, esquisse une exégèse cohérente, dense et claire. Cabale, alchimie, références littéraires et historiques codées, langue des oiseaux, la romancière néerlandaise se lance sur toutes les pistes, étudie tous les domaines nécessaires au décryptage du livre. Elle marche enfin dans les « pas perdus » de celle qui demeura toujours dans l’ombre, une ombre terrifiante. Grâce à l’aide d’une des petites filles de Léona Delcourt, Hester Albach réussit à marcher dans ses pas et à rendre un parcours très vivant.
Après Les Débuts, son premier succès adapté au cinéma, Hester Albach se tourne vers la France et sa littérature. Née à Amsterdam en 1953, cette romancière et nouvelliste néerlandaise partage maintenant sa vie entre les Pays-Bas et le Sud-Ouest de la France. Léona est sa première oeuvre traduite en français.

Chronique de juin 2009 pour le site de La Sorbonne Paris IV


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